Sujet 1
Diagnostic de l’enseignement en Afrique
L’éducation en Afrique est en crise. Personne ne l’ignore. Cet état de fait se manifeste notamment par l’incapacité du système éducatif à former des citoyens à même de répondre aux besoins de la société. D’aucuns estiment que la cause principale est l’inadéquation des programmes d’enseignement avec les aspirations de celle-ci. D’où les réformes scolaires qui se succèdent sans vraiment apporter de solutions durables. En revanche, plus le temps passe, plus le système se détériore : les effectifs des classes sont de plus en plus pléthoriques, les conditions de travail éprouvantes, le niveau des enseignants d’autant plus discutable qu’ils n’enseignent pas toujours les matières pour lesquelles ils ont été formés. Le niveau des élèves est souvent médiocre, et la plupart d’entre eux obtiennent leurs diplômes de façon frauduleuse. A cela s’ajoute la non-maîtrise de la langue de trans mission et de réception des connaissances en l’occurrence le français.
Cet usage obligé de la langue française comme véhicule de l’enseignement est une incongruité dans un contexte culturellement dominé par les langues africaines. Pourquoi ne pas faire de la langue du plus grand nombre le véhicule des connaissances ? Plus d’un demi-siècle après l’accession du continent à l’indépendance, est-il vraiment sérieux de continuer de parler d’héritage colonial pour justifier nos propres limites, nos propres misères intellectuelles, politiques et morales ? Certes, on ne peut ignorer les efforts sans cesse renouvelés des anciennes métropoles pour dominer linguistiquement, par conséquent culturellement, le monde. Mais faut-il pour autant que les peuples anciennement dominés plient l’échine et se soumettent à leur diktat ? Ne devraient-ils pas se libérer du poids de cet héritage pour enfin se frayer leur propre chemin en adaptant leur mode de transmission des connaissances aux exigences du contexte dans lequel ils évoluent ?
Une autre incongruité est le fait que le français du maître et de l’élève n’est pas toujours celui du manuel. Lorsque les livres de français en usage dans nos écoles sont élaborés sous d’autres cieux, ils s’efforcent de proposer un choix de textes dans une langue standard, voire soutenue.
En revanche, lorsqu’ils sont rédigés et produits « localement », ils tendent à gommer la ligne de démarcation entre le français tel qu’il devait se parler et un dialecte mâtiné d’africanisme.
Il en résulte que l’élève se trouve confronté à une double difficulté. Il doit apprendre une matière nouvelle dans une langue approximative. Une fois qu’il aura assimilé les maladresses de ce langage, il va les reproduire et les transmettre à son tour. Mais ces maladresses, loin de refléter le génie de la langue française, traduisent plutôt le malaise de vouloir à tout prix se construire à travers un idiome, et par conséquent, à travers des schémas et un prisme culturel qui ne sont pas les siens. Il suffit de prêter attention au parler des élèves et étudiants pour se rendre compte de la distance qui se creuse entre le français de France et celui des tropiques. Faut-il continuer d’instruire nos enfants dans une langue abâtardie ou faut-il le faire dans leur langue première, maternelle ou véhiculaire ?
Une dernière incongruité à signaler est qu’aujourd’hui les étudiants ont tendance, entre eux, à s’expliquer dans une langue africaine les cours pourtant reçus en français. Il m’arrivait de surprendre des étudiants de la faculté de lettres de l’Université de Kinshasa (en RD Congo) en train de commenter un cours de philosophie en lingala. Ils estimaient qu’ils comprenaient mieux ainsi…
Devant un tel phénomène, qui me paraît irréversible, faut-il continuer de se voiler la face en s’obstinant à maintenir le français comme unique langue d’enseignement ?
La langue détermine le destin des peuples. Repenser le système éducatif sans avoir résolu la question linguistique ne sera qu’un leurre !
Mukala Kadima – Nzuji, Jeune Afrique, N°2640 – 2641 du 14 au 27 août 2011, p.107.
Questions (20 points)
Résumé (8 points).
Vous résumerez ce texte de 643 mots au quart (¼) de son volume. Une marge de 10% en plus ou en moins sera tolérée. Vous indiquerez à la fin de votre résumé le nombre exact de mots employés.
Explication de vocabulaire (2 points)
Expliquez dans leur contexte, les expressions suivantes : Une langue abâtardie ; Vecteur d’enseignement (véhicule de l’enseignement ?).
Discussion (10 points)
L’auteur du texte se demande pourquoi ne pas faire de la langue du plus grand nombre le véhicule des connaissances. Qu’en pensez-vous ?
Sujet 2
Chefs d’États irresponsables
L’Etat en Afrique est très souvent un Etat patrimonial. Si celui qui est à la tête de l’Etat prend tous les biens publics comme bien patrimoniaux, c’est comme si l’Etat disparaissait purement et simplement. Ce qui caractérise certaines élites politiques, c’est l’esprit d’irresponsabilité. Le dirigeant européen du temps colonial était quelqu’un de très dur qui exigeait la discipline des Africains. Malgré cela, il se considérait comme responsable des populations sous ses ordres. C’est ainsi que le commandant de cercle devait répondre de ses actions devant le gouverneur. Le gouverneur de territoire devait répondre de ses actions vis-à-vis du gouverneur général de la Fédération. En revanche, nombre de dirigeants africains ont pris le pouvoir en abandonnant cette idée de responsabilité qui existait traditionnellement aussi chez les dirigeants africains. Les chefs d’Etats ont une tendance à vouloir diriger sans répondre de leurs actes.
Sur ce plan, il est utile de préciser la notion de responsabilité du pouvoir africain traditionnel. Un dicton africain déclare : « Ce n’est pas le roi qui a la royauté, c’est la royauté qui a le roi. » Le pouvoir en Afrique était largement partagé entre différents groupes qui entouraient le chef ou le roi. On faisait comprendre au roi, avant d’être investi, qu’il devait régner au profit du peuple. Le roi, dans la plupart des cas, prononçait des serments et s’engageait solennellement, au nom de ses ancêtres, à travailler pour la population et à ne pas commettre des abus, des actes de vol, de détournement de femmes, etc... Un contrat liant le roi et sa population par un engagement réciproque était souvent conclu, par exemple en pays ashanti.
Le roi lui-même était sous la surveillance d’un certain nombre de pouvoirs partiels, par exemple ses conseillers ou les griots. Ainsi, dans le système des royaumes yoruba au Bénin, les grands conseillers du roi avaient le pouvoir de sanctionner. Quand ils voyaient que le roi avait fauté ou qu’il se comportait de façon autocratique, ils lui envoyaient des œufs de perruche pour lui donner l’ordre de se suicider. Les griots de leur côté exprimaient au roi les idées et les critiques de la population. Ces critiques ne pouvaient pas être formulées par n’importe qui ; seuls les griots avaient le droit, traditionnellement, de s’exprimer avec beaucoup de liberté devant le roi. Ces propos prenaient la forme de proverbes ou de contes qui laissaient entendre clairement que le roi était visé, mais en évitant de lui faire perdre la face devant toute l’assistance. Elles devaient être prises au sérieux, tout le monde comprenait ce qui avait été dit. Même si ce n’était pas des commentaires injurieux à l’égard du roi, tous les adultes comprenaient et prenaient acte.
Tout une panoplie de rituels mettaient en garde le roi et lui montraient qu’il devait exercer ses fonctions en toute responsabilité. D’ailleurs, chez les Mossi, le candidat à la chefferie se présentait dans le plus simple appareil avant qu’il ne soit désigné ou investi. Il portait un petit pantalon, avait le buste nu et son corps était couvert d’une peau de mouton. Cela signifiait qu’au départ, le roi était dépouillé de tout ; il arrivait sans rien au pouvoir et devait se comporter sans s’enrichir sur le dos de ses sujets. Le roi devait être soumis aux devoirs et aux contraintes de son nouvel état ; ses obligations lui étaient rappelées à chaque grande cérémonie ou « salutations ». Ce qui est très caractéristique actuellement chez les dirigeants africains, c’est que l’idée d’avoir à rendre compte à des instances — une idée qui était très forte pendant la période précoloniale et au temps colonial — a souvent disparu. Dans ce cas, ces élites sont légales, la plupart du temps, parce qu’elles fonctionnent en conformité avec les lois, mais elles ne sont pas légitimes. Selon moi, une élite devrait être au-dessus du commun des gens du point de vue juridique, mais aussi au plan éthique et moral qui fonde la légitimité. Toutes ces qualités manquent à bon nombre de nos dirigeants africains aujourd’hui ; dans ce cas, il faut leur dénier la dénomination d’élite.
Joseph KI-ZERBO, A quand l’Afrique ? Edition d’En bas, 2013pp.83 – 86.
Questions (20 points)
Résumé (08 points).
Vous résumerez ce texte de 700 mots au quart (¼) de sa longueur.
Une marge de 10% en plus ou en moins sera admise. Vous mentionnerez le nombre exact de mots employés à la fin de votre résumé.
Explication de vocabulaire (02 points)
Expliquez les expressions suivantes selon le texte : L’esprit d’irresponsabilité ; Être au-dessus du commun des gens
Discussion (10 points)
Sujet : « Les chefs d’États ont une tendance à vouloir diriger sans répondre de leurs actes. »
A l’aide d’exemples précis, discutez cette affirmation du professeur Joseph KI-ZERBO.
Sujet 3
« Que faire » ?
Dans les tourments de la révolution bolchévique, Lénine s’interrogea dans un célèbre ouvrage : « Que faire » ? Cette question est à l’ordre du jour en Afrique. La grande question qui préoccupe les intellectuels et tous ceux qui se donnent la peine de comprendre les problèmes du continent africain est celle-ci : l’Afrique s’en sortira-t-elle ?
« Que faire » ?
Une division factice veut que les Africains et tous ceux qui se penchent sur le sort du continent noir se positionnent en deux groupes : les afro-pessimistes qui disent que le continent est voué à la misère et peut-être à la disparition à cause des grands fléaux que sont les épidémies, la famine et les guerres civiles. Ils croient que nous sommes beaucoup trop en retard pour rattraper le peloton et y trouver une place. Pire, nous sommes hors du circuit irrémédiablement.
Les afro-optimistes croient en l’avenir de l’Afrique malgré tout. Elle a d’immenses richesses et elle a des populations jeunes, dynamiques. Même par un raccourci, l’Afrique rattrapera les autres.
Les arguments des uns et des autres se valent même si nous disons toujours qu’être un optimiste, dans certaines circonstances, c’est être un pessimiste qui manque d’informations. De part et d’autre, on peut se satisfaire de l’interrogation permanente posée par chacun avant de porter son jugement. Être optimiste ou pessimiste, c’est prendre le temps de s’interroger.
S’il y a un mal, il se traduit par le manque d’interrogation. Ils sont nombreux à ne plus s’interroger sur quoi que ce soit, à se laisser aller, préoccupés paraît-il par tout, sauf l’essentiel : s’interroger, réfléchir sur leur propre situation. Ils sont pauvres, ils sont chômeurs, ils vivent une misère noire ou tout simplement ils travaillent pour un salaire similaire à la ration alimentaire que l’on donnait à l’esclave afin qu’il ait la force nécessaire pour travailler…
Tout cela, ils le savent, puisqu’ils le vivent. Mais ils ne s’interrogent point sur leur propre situation. Je souffre aujourd’hui. Et demain ? la situation peut-elle s’améliorer ? Quelles conditions doivent être remplies à mon propre niveau et à celui de l’ensemble de la société pour que ma situation s’améliore ? Dois-je être optimiste ? Quels en sont les motifs ? Est-ce le contraire et quelles en sont les raisons ? Que faire ?
Cet exercice d’interrogation est au centre de la vie de l’homme, il en est la charpente. Mais attention, il est très opposé à la rumination des chagrins, à la culture de la défaite, sous l’hymne des insomnies et des nuits blanches.
Cet exercice de l’interrogation permanente n’est point une suite de mouvements gymniques désordonnés sur une natte ou un lit, des nuits et des nuits durant, sans sommeil.
Chaque fois qu’il est exécuté, il doit modifier notre comportement dans un élan de vie. « Je m’interroge, donc je vis » pourrons-nous dire pour paraphraser la célèbre formule cartésienne. En examinant le cas des Burkinabè aujourd’hui, c’est-à-dire le cas de chacun de nous, il y a lieu de se demander : avons-nous le courage de nous interroger sur notre avenir et sur celui de notre pays ? Combien sont-ils qui se livrent à cet exercice d’interrogation ?
(…) Nous n’avons pas encore compris que, dans toute société qui veut se pérenniser, il faut quelque chose au-dessus de tous les hommes. En religion, ce quelque chose est Dieu. Dans une République, c’est-à-dire sur le plan politique et social, ce sont la Constitution et la loi.
Voilà résumé le cadre dans lequel nous devons faire notre exercice d’interrogation permanente au niveau du Burkina. Notre engagement aux côtés des uns ou des autres sera fonction de cet exercice de l’interrogation permanente. Tout ce que les autres nous diront, tout ce qu’ils nous demanderont d’entreprendre, de comprendre, d’accepter ou de refuser nous apparaîtra dans une transparente clarté. Nous aurons un jugement clairvoyant, lucide.
Quand l’homme s’interroge, il vit. Il vit au rythme de sa société et du monde.
Le « Que faire » ? Est source de vie. Quand plus rien n’a aucun sens, une seule solution s’impose à nous : l’interrogation. Constamment.
Norbert ZONGO, L’Indépendant N°225 du 16 décembre 1997.
Questions (20 points)
Résumé (08 points).
Résumez ce texte de 725 mots au quart (¼) de sa longueur. Une marge de 10% en plus ou en moins est admise. Vous indiquerez à la fin de votre résumé le nombre exact de mots employés.
Explication de vocabulaire (02 points)
Expliquez les expressions suivantes selon le contexte :
• Il en est la charpente ;
• La culture de la défaite.
Discussion (10 points)
Expliquez et discutez l’opinion suivante que l’auteur attribue aux afro-optimistes :
« L’Afrique a d’immenses richesses et elle a des populations jeunes, dynamiques. Même par un raccourci, elle rattrapera les autres. »