Gervaise avait attendu Lantier jusqu'à deux heures du matin.
Puis, toute frissonnante d’être restée en camisole à l'air vif de la fenêtre, elle s'était assoupie, jetée en travers du lit, fiévreuse, les joues trempées de larmes. Depuis huit jours, au sortir du Veau à deux têtes, où ils mangeaient, il l’envoyait se coucher avec les enfants et ne reparaissait que tard dans la nuit, en racontant qu'il cherchait du travail. Ce soir-là, pendant qu'elle guettait son retour, elle croyait l'avoir vu entrer au bal du Grand-Balcon, dont les dix fenêtres flambantes éclairaient d'une nappe d'incendie la coulée noire des boulevards extérieurs ; et, derrière lui, elle avait aperçu la petite Adèle, une brunisseuse qui dînait à leur restaurant, marchant à cinq ou six pas, les mains ballantes comme si elle venait de lui quitter le bras pour ne pas passer ensemble sous la clarté crue des globes de la porte.
Quand Gervaise s'éveilla, vers cinq heures, raidie, les reins brisés, elle éclata en sanglots. Lantier n'était pas rentré. Pour la première fois, il découchait. Elle resta assise au bord du lit, sous le lambeau de perse déteinte qui tombait de la flèche attachée au plafond par une ficelle. Et, lentement, de ses yeux voilés de larmes, elle faisait le tour de la misérable chambre garnie, meublée d'une commode de noyer dont -un tiroir manquait, de trois chaises de paille et d'une petite table graisseuse, sur laquelle traînait un pot à eau ébréché. On avait ajouté, pour les enfants, un lit de fer qui barrait la commode et emplissait les deux tiers de la pièce.
La malle de Gervaise et de Lantier, grande ouverte dans un coin, montrait ses flancs vides, un vieux chapeau d'homme tout au fond, enfoui sous des chemises et des chaussettes sales ; tandis que, le long des murs, sur le dossier des meubles, pendaient un châle troué, un pantalon mangé par la boue, les dernières nippes dont les marchands d’habits ne voulaient pas.
Émile Zola, L 'Assommoir, 1877.
I. COMMUNICATION / 5 pts.
l. a. En vous appuyant sur deux indices, dégagez le type de focalisation dans le premier paragraphe. (0,5x3) = 1,5pt.
b. Donnez effet de sens produit par l’emploi de cette focalisation. 1 pt.
2. Soit l'extrait « Elle faisait le tour de la misérable chambre garnie […] les deux tiers de la pièce ››.
a. Au moyen de deux indices précis, identifiez la fonction dominante de langage dans cet extrait. (0,5x3)==l,5pt.
b. Que traduit l'usage de cette fonction de langage ? 1 pt.
II. MORPHOSYNTAXE / 5 pts.
1. Soit la phrase : « Quand Gervaise s'éveilla, vers cinq heures, raidie, les reins brisés, elle éclata en sanglots. ››
a. Identifie le temps et le mode de chaque verbe conjugué. (0, 5 x 3) = 1, 5 pt.
b. Donnez la valeur d’emploi de ce temps et de ce mode. 1 pt.
2. a. Identifiez le signe de ponctuation le plus utilisé dans la dernière phrase du texte. 0,5 pt.
b. Quelle est sa valeur d'emploi dans l’extrait ? l pt.
III. SÉMANTIQUE / LEXICOLOGIE / 5 pts
1. a. Que signifie le verbe « découchait ›› ?1 pt.
b. Que connote-t-il ? En quoi son emploi connotatif contribue-t-il à une critique des mœurs ? (0, 75 x 2 =) 1, 5 pt.
2. a. Construisez le champ lexical des meubles et des vêtements dans le dernier paragraphe du texte. 2 pts.
b. Que révèle l’emploi de ce vocabulaire ? 0, 5 pt.
Iv. STYLISTIQUE / RHÉTORIQUE / 5 pts
1. a. A partir de deux indices précis, identifiez le type auquel appartient cet extrait. l, 5 pt.
b. Déterminez une fonction de ce type de texte. 1 pt.
2. a. Au moyen de deux indices pertinents, identifiez une tonalité dans le deuxième paragraphe du texte. (0,5x3)=l,5pt.
b. En quoi cette tonalité rend-elle compte de l’intention de l’auteur ? l pt.