Correction sujet I
Sujet I : La philosophie est-elle nécessairement fille de son temps ?
I. Compréhension du sujet
Le sujet, libellé sous forme interrogative, convie le candidat à trois tâches conceptuelles essentielles :
• Montrer en quoi la philosophie est tributaire de son milieu d’enracinement et ne semble pas aller au-delà, ce qui témoignerait de l'ancrage du discours philosophique dans l’actualité du vécu ;
• Réagir en formulant des objections contre cette lecture réductionniste en indiquant en quoi la philosophie transcenderait son temps et son milieu originel pour revêtir une dimension universelle et continuelle ;
• En déduire, comme esquisse de solution finale, une certaine ambivalence de la philosophie qui, quoi que partant généralement des problèmes spécifiques à un espace donné et à un temps donné, a cependant la capacité à se généraliser, s’universaliser dans une perpétuité qui la rend apte à rechercher aux problèmes constants des solutions pérennes.
II. Introduction
Définitions
• Philosophie : réflexion critique et rationnelle sur les questions fondamentales qui hantent l’esprit humain / pensée critique articulée autour des problèmes existentiels de l’homme et du monde.
• Être fille : être le produit ; revêtir la coloration, résulter ;
• Nécessairement : sans restriction, immanquablement, inévitablement, absolument, sans doute, etc.
• Temps : moment, actualité, période, traduit l’enracinement dans le temps et dans l’espace.
Identification du problème : la nature du rapport de la philosophie au temps (ensemble des événements qui structurent L’existence d’un peuple à un moment donné de l’histoire / contextualisation de la philosophie / l’actualité du discours philosophique/ origine ou fondement du discours philosophique.
Construction de la problématique :
Est-il possible de limiter la philosophie à un temps précis seins remettre en cause sa prétention comme pensée du général et de l’universel et sien du particulier et de l'instant ?
La philosophie, comme pensée critique, est-elle inévitablement assujettie aux problèmes de son époque, sans pouvoir aller au-delà ? N’échappe-t-il pas il la temporalité pour revêtir une dimension universelle et atemporelle ?
Le discours philosophique, comme expression et quête de la vérité est-il toujours fondé sur les questions qui émaillent l’actualité ?
III. Plan possible
Le sujet ainsi analysé nous permet d’envisager un plan ternaire qui peut se décliner ainsi qu’il suit :
III.1 Thèse : La philosophie serait liée à un contexte précis à partir duquel elle se justifierait '
Idée 1 : La philosophie comme discours d’intellection, de compréhension, de rationalisation du monde.
Selon Hegel, « la philosophie a pour tâche d’élaborer les fondements du rationnel, elle est la saisie de ce qui est présent et effectivement réel. »
Idée 2 : La philosophie émerge de la praxis quotidienne des hommes et des peuples. Elle en porte l’empreinte, la coloration et la saveur. Ainsi, Marx montre que « les philosophes ne sortent pas de terre comme des champignons » ; ils sont toujours les fruits de leur époque, la quintessence, la manifestation consciente et vivante de l’infrastructure économico-matérielle qui les tonifie et les vivifie.
Idée 3 : La philosophie épouse et exprime le mouvement de la société. Selon Sartre, «la philosophie se constitue pour donner son expression au mouvement général de la société. »
Idée 4 : Le philosophe est alors vu comme celui instruit la société. Njoh-Mouelle le considère comme « l’oracle de la société » : « Le philosophe est comme l’oracle d’une société. [...] Il réfléchit, c’est-à-dire analyse, compare, confronte le réel avec l’idéal qu’il porte en lui, confronte la laideur existante avec le beau devant être, l’injustice existante avec la justice devant être, bref, le désordre existant avec Perdre devant être. Il a le sens de l’humain et cela au fond, appuyé sur la raison universelle, qui sert de critère à toutes ses entreprises. »
Idée 5 : Il s’ensuit une dénonciation de tout projet philosophique abstrait, coupé du vécu des hommes pour autant que comme le dit Mikel Dufrenne, « le destin de la philosophie est lié à l’intérêt qu’elle porte à l’homme ».
Conclusion partielle : Ainsi, la philosophie apparaît tout d’abord comme la « pensée de l’instant », la « pensée d'un instant » et ne peut donc pas extrapoler le contexte originel sans se trahir, du moins s’atténuer.
Transition : Mais une philosophie trop prisonnière de son époque ne se condamne-elle pas à une efficacité limitée ? La philosophie n’est-elle pas plus la pensée du général que celle du particulier ?
III.2. Antithèse : La philosophie comme pensée du général et de l’universel, transcende le temps et l’espace.
Idée 1 : La philosophie, comme le montre Mikel Dufrenne, dans son ouvrage ‘’Pour I ‘homme’’, est « un discours d‘un homme qui s’adresse aux hommes pour leur parler de l’homme et du monde. » Or, l’homme est partout et toujours le même
Idée 2 : La résurgence des mêmes problèmes et leur permanence oblige la philosophie à développer un discours renouvelé certes, mais qui s’articule selon une certaine constance.
Idée 3 : Le discours philosophique se caractérise par son universalité et surtout sa généralité.
Pour Aristote, « il n’y a de science que du général » , et Hegel dira plus tard que la philosophie est la pensée du général et non du particulier. Il s’agit là de l’une des Raisons ayant conduit Hegel à exclure les Africains du champ de la philosophie au motif que ceux-ci pensent le particulier et non le général, ils pensent l’instant et non le mouvement continu de l’histoire (Hegel, Leçons sur l ’histoire de la philosophie).
Idée 4 : La philosophie n’a l’intérêt que par son désintéressement. Elle est utile par sa distanciation par rapport au quotidien, laquelle lui permet de mieux connaître et de bien réfléchir. Pour Aristote, dans La Métaphysique, « ce fut pour échapper à l’ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philosophie » et non pour une fin utilitaire quelconque.
Cette distanciation permet, selon Raymond Aron, de cultiver «la philosophie pour la seule philosophie ».
Idée 5 : Le philosophe est donc un homme libre par rapport à la temporalité et à la spatialité.
C’est une pensée de la transcendance. Il est l’homme de partout certes, mais finalement de nulle part. il se situe toujours, selon Jankélévitch, « quelle que part dans l’inachevé ». La quête philosophique de la vérité ignore toute longitude et toute latitude.
Idée 6 : Avec Platon, la philosophe échappe à la contingence du monde sensible pour, via l’ascension dialectique, s’élever à la contemplation de vérités éternelles. Le monde des Idées, de l’épistémè est le lieu par excellence de connaissances absolues, parfaites échappant au balancement et au changement incessant. La philosophie est donc, non pas quête d‘une vérité, celle du moment, mais quête de la vérité absolue qui transcende l’historicité et la temporalité.
Socrate est Socrate, non pas parce qu’il a de particulier comme Athénien, mais parce qu'il a le général comme modèle moral.
Conclusion partielle : La philosophie apparaît donc inexorablement comme pensée transcendant, générale et universelle. En cela, elle n’a ni coloration de lieu ni saveur d’un espace précis.
Transition : Mais, si la philosophie aspire à l’universalité, C’est-à-dire à transcender l’espace et le temps, comment en définitive situer la pertinence du discours philosophique ?
III.3 L’ambivalence caractéristique de la philosophie : La philosophie comme pensée de l’universalité et de la particularité
Idée l : La réflexion philosophique doit allier la pensée de l’instant et celle du mouvement continu de l’histoire. Ainsi, selon Jean Wahl, « toute philosophie est méditation sur le dedans et le dehors et sur tout ce qui transcende le dedans et le dehors. »
Idée 2 : En tant qu’expression de la sagesse humaine ‘dans sa transversalité et son universalité, la pensée philosophique, quand bien même elle résulterait d’un individu et d’une époque, serait toujours susceptible d’exercer une influence décisive sur la postérité.
L’histoire de la philosophie est en même temps une philosophie de l’histoire, capable d’enrichir et d’outiller l’existence des hommes aux divers âges de l’histoire. En ce sens, la morale d’Epicure, les maximes de La Rochefoucauld, la sagesse socratique de la mort et le rigorisme moral kantien constituent, aujourd’hui encore, un inépuisable patrimoine, autant dire des prémisses incontournables à toute vraie didactique de l’existence.
Idée 3 : Cette double caractérisation de la philosophie ressort clairement des versants de la dialectique platonicienne : le philosophe s’élève jusqu’à la contemplation (mouvement général, universel); il redescend ensuite dans la caverne pour y impulser et opérer des changements (mouvement particulier suivant le milieu où on veut implémenter ses idées).
Idée 3 : Il faut donc distinguer entre les problèmes urgents auxquels doit s’attaquer instantanément la philosophie, ct les problèmes sérieux, les vrais, ceux-là, à cause de leur pérennité et de leur universalité, résistent à l’usure du temps et deviennent éternels. C'est pourquoi, nous dit Ludwig Wittgenstein, dans les Remarques philosophiques, « il n’y a rien de plus merveilleux au monde que les vrais problèmes de philosophie. ». C’est par leur capacité à poser et à se préoccuper de ce genre de problèmes qu’on reconnaît la valeur des grands et des vrais philosophes.
Idée 4 : La philosophie apparaît alors, selon une belle expression empruntée à Edgar Morin, dans ‘’Une politique de civilisation’’, comme une pensée « globale >> (think global and act local), c’est-à-dire qui parvient à conjuguer le global (universel) et le local (particulier).
Idée 5 : la philosophie est un usage rationnel et impersonnel de la pensée dans la résolution des problèmes de l’homme : (e La philosophie est une activité discursive, qui a la vie pour objet, la raison pour moyen et le bonheur pour but. » (André Comte-Sponville, Une éducation philosophique) Conclusion partielle : On le voit, la vraie philosophie est celle qui, tout en s’enracinant dans la pratique et le vécu quotidien des hommes et (les peuples, peut s’universaliser et transcender la temporalité.
IV. Conclusion
• Rappel du problème soulevé par la question posée
• Rappel succinct de la thèse et de sa critique
• Solution personnelle au problème (et ouverture).
Correction sujet II
Sujet 2 : Quelles réflexions vous suggère cette affirmation de Montaigne: «chacun appelle barbare ce qui ne relève pas de son usage» ?
l. Compréhension du sujet
Michel Eyquem de Montaigne, philosophe humaniste français du Seizième siècle, s’inscrit dans une dynamique de rupture avec la pensée scolastique et médiévale davantage portée au commentaire et à la diffusion de la pensée d’Aristote qu’à la considération d’un véritable art de bien vivre. Cette volonté réformiste, qui est aussi celle de la plupart des philosophes de son époque comme Rabelais, La Boétie, Maine de Biran et bien d’autres, manifeste le souci marqué, sur le plan socio-culturel, d’apporter aux autres une éducation humanisante. On se souviendra que ces penseurs étaient à 1a recherche de l’« honnête homme», en tant qu‘une «tête bien faite » et non simplement une «tête bien pleine». A ce titre, la série d’Essais publiée par Montaigne, met un point d’honneur sur les relations interindividuelles, notamment la question de la diversité des mœurs, des coutumes et des modes de vie, fustigeait en fait la dépréciation des valeurs des uns par les autres et donc circonvenant à toute volonté d’hégémonie ou d’infériorisation culturelles souvent assorties de catégorisations péjoratives. On voit donc, à travers la pensée ici proposée, la volonté de Montaigie d’en appeler à une acceptation mutuelle des valeurs culturelles et à leur cohabitation harmonieuse. Ce qui revient en fait à considérer, comme principe, l’égalité entre les cultures.
Par cette approche, Montaigne met toutes les cultures au même niveau. Dès lors, l’épithète barbare souvent associée par les uns aux cultures des autres devient simplement le fait d’un rapport extérieur à celles-là, mais surtout d’une ignorance et d’un mépris injustifié à l’égard des pratiques des autres.
Commençons par expliciter les concepts :
Culture : Ensemble des éléments exprimant la manière d‘être au monde et de vivre d’un groupe de personnes ;
Barbarie : Expression manifeste de la stupidité d’un individu ou d’un peuple, défaut de civilisation.
Cirage : pratique, façon de faire, manière d’être et d’agir.
Reformulation du sujet : Selon Montaigne, le regard que l’on jette sur les cultures / usages des autres est toujours dépréciatif.
II. Introduction
II.1 Problème : Le sujet invite à se prononcer sur la nature des rapports entre les différentes cultures/ l’attitude vis-à-vis des autres cultures/ la valeur des autres cultures ! la manière dont nous percevons ou jugeons les cultures qui sont différentes des nôtres. Il s’agit, en fait, de {interroger sur la problématique de la coexistence/cohabitation des culturels ; notamment celle du relativisme culturel.
II.2 Problématique : Ce problème peut être décliné en problématiques ainsi qu’il suit :
La multiplicité des cultures ne les condamne-belle pas à entretenir des rapports conflictuels ?
La culture de l’autre n’est-elle pas toujours regardée avec mépris et dédain en ceci que le non-nôtre est toujours assorti de catégorisation péjorative ?
La pensée de Montaigne, même si elle exprime adéquatement la cohabitation plus ou moins tendue entre les différentes cultures, n’invite-t-elle pas à rechercher les lieux possibles de la tolérance culturelle dans un monde qui se mondialisé sous la forme d’un darwinisme culturel ou d’un eugénisme culturel ?
Faut-il s’accorder avec Montaigne que la barbarie, expression de ce qui n’est pas civilisé, relève simplement de la divergence des cultures ? Est-il légitime de taxer les autres de barbares ou sauvages au simple motif que leurs us et coutumes seraient différents des nôtres ?
III. Plan possible
III.1 Thèse : Explication/analyse de la pensée de Montaigne : toute culture qui n’est pas nôtre est taxée de barbare
En fait, pense Montaigne, le regard porté sur les cultures des autres est toujours subjectif, dépréciatif, dénigrant discriminatoire. L’auteur met exergue la xénophobie culturelle qui semble caractériser chaque être humain.
Argument 1 : Les cultures des autres sont toujours considérées comme mauvaises. Ce que les autres font, leurs manières d’être et de faire est d’emblée rejetée. Les étiquettes sont vite trouvées : hier, « eux » et « nous » ; aujourd’hui « tontinards » ou << sardinards » ; toujours est-il qu’on est loge’ et coincé dans une assignation péjorative et inquisitrice. On a les déchus d’un bord et les élus d’un autre bord. Telle est la triste réalité à laquelle a très souvent conduit la cohabitation des cultures.
Argument 2 : Le rejet des autres cultures s’accompagne de la survalorisation de notre propre culture. Chaque groupe culturel, mu par un égoïsme et aux autres, dans un certain protectionnisme qui pousse ses membres à développer ce qu’on pourrait appeler des « mécanismes de défense » contre toute forme d’agression ou d’assimilation venant des autres.
Désormais, différences riment avec divergences, particularismes et exclusion/rejet. Ainsi, la cohabitation sociale se vit selon des rapports continuellement tendus et générés par l’exclusion de l'autre.
Arguments 3 : La conséquence en est cette volonté d’effacer les autres cultures et d’imposer la nôtre comme culture d’élite. La mondialisation peut d’ailleurs se lire sous le prisme de la volonté d’imposer la culture occidentale aux autres peuples.
Argument 4 : Il en résulte des crispations, des frustrations qui poussent aux attitudes réactionnaires et à une sorte de protectionnisme culturel. C‘est ce que montre Samuel Huntington dans Le choc des civilisations ou encore Benjamin R. Barber dans Djihad contre MacWorld.
Conclusion partielle : Ainsi, il apparaît fort clair que le pluralisme cul turc est toujours assorti d’un regard inquisiteur et dénigrant sur les autres cultures.
Transition : Toutefois, faudra-t-il toujours voir dans les pratiques culturelles des autres des éléments à rejeter, à éliminer ? La différence culturelle, n’est-elle que motif de conflits ?
IIL.2 Antithèse : Objections à la pensée de Montaigne : La positivité de la diversité culturelle
Même si la diversité culturelle semble a priori s’apprécier sous le mode de la conflictualité, il n’est pas évident qu’elle ne soit en réalité que porteuse d’adversité entre les hommes.
Argument l : L’absurdité de la hiérarchie culturelle et les velléités d’hégémonie alimentent insidieusement les conflits culturels, Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme pensait justement qu’exploiter la différence culturelle en sa faveur pour nuire aux autres ou les vilipender, constituerait non seulement une offense à la conscience morale universelle, mais aussi l’une des plus grandes bêtises de l’homme moderne. Aussi écrivait-il que : « Le colonisateur qui, pour se donner bonne conscience, s’habitue à voir dans l’autre la bête, s‘entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-mente en bête ».
Argument 2 : Essentiellement, les cultures n’ont rien de conflictuel. C’est ce que pense Karl Marx qui estime au contraire que c'est la dynamique antagoniste de rapports de production, au fondement des classes sociales, qui génère les contradictions qui, à leur tour, causent des conflits sociaux.
Argument 3 : La fragmentation sociale sur la base des spécifications culturelles est corrosive à l’édification de véritables États-Nations. A cet effet, Eric Fattorine, dans Besoin d’Afrique, disait qu’« On ne battit pas une société sur des isolements, il faut un minimum d’horizon commun ».
Argument 4 : Le rejet de l’autre est en réalité auto-rejet dès lors qu’on admet que nous avons tous la même humanité, la même dignité. Tel est le sens du message de Lévi-Strauss, pour qui « Le barbare, c’est l’homme qui croit à la barbarie »
Comme on peut le constater, ma citoyenneté/ nationalité /humanité doit remporter sur mon identité qui n’est alors qu‘une infâme panic de mon « être homme » : en réalité, on n’est jamais citoyen d’une tribu, d’un groupuscule et ou ne peut en être qu'un membre. En ce sens, la détermination du naître ne doit en aucun cas avoir de la préséance sur la promotion de Vôtre. La tribalité, par exemple, n'est donc pas un obstacle à ma citoyenneté voire à mon humanité. En revanche, si cette tribalité dégénère en tribalisme, cela est immoral et incivique.
Transition : Si la diversité culturelle n’est pas en soi une source de conflits entre les hommes, comment peut-on réussir une cohabitation heureuse entre les cultures ?
Comment les dérives naturelles générées par la diversité culturelle peuvent-elle être jugulées en vue d’assurer à nos États et à notre humanité contemporaine décadente un passage harmonieux de l’hétérogénéité à l’homogénéité ?
III.3 Synthèse, intérêt/valeur de l’affirmation de Montaigne : diversité culturelle et enrichissement : positiver l’altérité et la diversité
On comprendrait ainsi mal la dénonciation par Montaigne de tout regard négateur sur les cultures des autres dans un monde — celui de la mondialisation — où la cohabitation culturelle semble se dérouler sous le mode de la stigmatisation. Mais, alors comment entrevoir les rapports entre les cultures pour une existence sociale apaisée et détendue ?
Argument 1 : Tout part du principe d’égalité biogénétique entre les hommes. Selon Louis de Jaucourt, cette égalité « est fondée sur la constitution de la nature humaine commune à tous les hommes, qui naissent, croissent, subsistent et meurent de la même manière » et «la nature humaine se trouve être la même dans tous les hommes ». Il n’y a « qu'une race d’hommes : l’homo sapiens et les spécificités culturelles constituent ce qu’Aristote appelle des « accidents » et n’altèrent nullement notre nature humaine commune. Toute action doit se fonder sur une idée générale de l’espèce humaine, qui soit la même dans toutes les cultures. Aussi devons-nous, comme nous y invite Noam Chomsky, revendiquer "le droit à l’universalité“.
Argument 2 : L’idée de l’égalité culturelle dans la différence est un principe qu’il faut promouvoir par l’éducation et faire vivre dans les esprits comme conviction. Le « Contrat Social » signe la formation d’une véritable « identité collective » qui produit une sensibilité à toute agression contre le corps social, et une solidarité par laquelle chaque citoyen dilate son « moi » aux dimensions d’un « nous » La perspective d’une coexistence multi-grégaire et l’exigence citoyenne d’une conscience nationale intégrative sont-elles en soi opposées ? Claude Lévi-Strauss, dans Race et Histoire appelait déjà à préserver la diversité culturelle dans un monde menacé par la monotonie et l’uniformité. La tolérance impose de se situer dans une posture réceptive et objective, puisque, dit-il, « la diversité des cultures est derrière nous, autour de nous et devant nous {et doit être] une manière de construire l’humain ».
Argument 3 : Il faut construire l’homogénéité à partir de l’hétérogénéité. Telle est le défi lancé par Kant dans son Projet de paix perpétuelle et qui invite à faire passer les cultures du mode de la « cacophonie » à celui de « l’unisson », pour finalement arriver à la « symphonie », comme dans le cas d’une chorale ‘où le maître de cœur a réussi à fusionner les voix tout en faisant garder à chacune d’elle sa particularité. Il faut ici encourager et favoriser des initiatives politiques et socioculturelles, à un moment où nos pays subissent des agitations diverses, et où des atteintes à l’harmonie collective s'expriment activement. La création au Cameroun, en 2016, de la commission nationale du bilinguisme et du multiculturalisme est un engagement des autorités de la république en faveur de la diversité culturelle, de la tolérance et du respect de la différence. La réflexion éducative doit se soucier de construire et de renforcer la diversité culturelle à travers une meilleure prise en compte des identités culturelles nationales.
Développer une symbiose entre les tribus et les cultures. C’est d’ailleurs ce qui justifie les politiques nationales d’équilibre dont le but est de ne léser aucune communauté dans la distribution des privilèges nationaux.
Argument 4 : Le principe des « échanges culturels » ou des « dialogues interculturels » est à envisager. Du moment où, comme le disait Cheikh Hamidou Kane, dans l’Aventure ambiguë, « L’ère des destinées singulières est révolue » et ; où aucun peuple ne saurait encore vivre de la seule préservation de soi, il faut rentrer dans la dynamique des échanges enrichissants. Senghor plaidait déjà pour l’avènement d’une « civilisation de l’universel », « rendez-verts du donner et du recevoir ».
Argument 5 : Toute culture oscille entre évolution, mutation et transformation. Telle est l’évidence qui se dégage de l’œuvre monumentale de Marcien Towa. C’est à l’art de démontrer que toutes les cultures sont dans une dynamique instable qui les soustrait à l’authenticité, à l’immobilisme et qui les rend disponible aux enrichissements. En mettant en garde contre toute dilution ou tout ostracisme culturel, A. Césaire, lui aussi, souligne, dans Discours sur le colonialisme, que « Toute culture est un mélange d'éléments effroyablement hétérogènes ».
Argument 6 : L'homme, être d'amour et de penchant pour son semblable, a en lui de quoi faire violence à la violence, de quoi anéantir les velléités belliqueuses que Freud et Lorenz ont crues naturelles en lui : c’est la culture. C'est d’ailleurs pourquoi on parle d’une culture de la paix dans un sens où il développerait comme des anticorps susceptibles de combattre les dérives humanistes telles que la xénophobie et toutes les formes d’individualisme. La culture, la vraie, élève l’homme vers l’idéalité, le soustrait des contingences du monde sensible de Platon comme lieu de la doxa et du valgus.
Argument 7 : Dans Éloge de la différence, Albert Jacquard l'ait justement l’apologie de l’altérité qui doit se voir comme une promesse de bonheur, un appel à la communion, à la fraternité, à ‘Rameur, au sens où le message chrétien nous invite à aimer notre prochain comme nous-mêmes. De même, Marc-Aurèle pense que « Le propre de l’homme, c'est d'aimer même ceux qui l’offensent ». D'où d’ailleurs l'impératif catégorique de Kant : « Agis toujours de telle sorte que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta propre personne que dans la personne d'autrui, toujours ct en même comme une fin et jamais simplement comme un moyen ». La prospérité nationale signifie qu’il n'y a sur le chantier de la construction nationale, ni bassa ni bamiléké, ni Beti, etc, mais des camerounais.
En réalité, « la culture se définit essentiellement par ce qui est partagé et transmis. La culture c’est ce que nous avons en commun avec d'autres. » (Cl. Roy).
L’universalité du genre humain commande donc que les hommes, qui qu'ils soient et d’où qu’ïls viennent, bénéficient des mêmes égards et de la même bienveillance. L’égalité est ainsi le principe séculier de l’Etat de droit et de toute république digne de ce nom
IV. Conclusion
Rappel du problème soulevé par la citation
Rappel succinct de la thèse et de sa critique
Solution personnelle au problème (et ouverture).
A l’évidence, la pluralité/diversité des cultures a très souvent été vite assimilée à un appel à la conflictualité. Ce qui pourrait justifier que la cohabitation de plusieurs groupes culturels soit évoquée comme source de la plupart de tensions sociales et des atteintes au vivre-ensemble.
A travers sa formule Montaigne, écrivain humaniste de la renaissance, fustigeait déjà en son temps la bâtardise culturelle, voire la barbarie à laquelle étaient sommairement condamnées certaines cultures prétendument inférieures. Mais il faut dire que s’il était une vertu justifiant hypocritement les dérives humanistes de l’antiquité telles que l’esclavage et la colonisation, le mythe du barbare est aujourd’hui, surtout par rapport à la mondialisation et aux idéaux du savoir vivre ensemble que caresse notre humanité post moderne, un véritable anachronisme.
Voilà pourquoi ayant certainement scruté les vices d’une culture occidentale un peu trop encline à la satisfaction de l’avoir au détriment de la valorisation de l’être, c’est-à-dire du spirituel et de l’humain, Cheikh Anta Diop, de regretté mémoire, a choisi de donner à Furie de ses plus généreuses productions intellectuelles le titre paradoxal suivant ; Civilisation ou barbarie.