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ISSEA
2016
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Ce texte est tiré du livre de Monsieur Jacques ATTALI : intitulé : « Peut-on prévoir l’avenir ? » Paru aux éditions Fayard en août 2016.
Il doit être résumé en 250 mots plus ou moins 10%.
Il sera tenu compte de l’orthographe, de la ponctuation, et de la présentation de votre copie

Je veux ici expliquer comment je prévois l’avenir et comment chacun de nous peut y parvenir.
« Connaître l’avenir », « prédire l’avenir », « prévoir l’avenir » : trois expressions qui disent apparemment la même chose. Et qui sont pourtant fort distinctes. Dans toutes les langues.
« Connaître l’avenir », c’est penser qu’il est fixé à l’avance et qu’on peut en découvrir tous les détails. Ceux qui le croient possible en déduisent qu’il faut se résigner à accepter notre destin comme il viendra, puisqu’il nous est imposé, jour après jour, par les dieux ou par la nature. Que nous devons prier les dieux afin qu’ils le changent.
« Prédire l’avenir », c’est encore penser qu’il est immuable, mais sans plus croire qu’il soit entièrement accessible à notre connaissance ; c’est alors se contenter d’en deviner les bribes, d’anticiper un peu de ce que le destin nous réserve, sans non plus espérer le modifier sinon par la prière...
Enfin « prévoir l’avenir », c’est aussi essayer de le deviner au moins partiellement, mais en considérant qu’il n’est pas figé, et qu’il est possible, par l’action, de lui faire prendre un autre chemin que celui que décrit la prévision.
Chercher à « connaître » l’avenir ou à le « prédire », c’est se résigner. Chercher à le prévoir, c’est se préparer, si on le souhaite, à vivre libre, à « devenir soi ».
.../... Ceux qui pensent qu’ils peuvent influer sur leur destin ont besoin, d’abord, de comprendre ce que l’avenir semble leur réserver ; pour détourner, si nécessaire, le cours du destin et le rapprocher d’une trajectoire rêvée. Comme un général envoie, un éclaireur ou un espion, observer ce qui se passe chez l’ennemi, pour lui rendre ensuite compte de la situation et lui permettre d’élaborer une stratégie ; prévoir c’est se faire éclaireur du temps. Espion de l’avenir.
Mais la réciproque n’est pas toujours vraie : on peut souhaiter prévoir son propre avenir juste pour éviter un danger, sans pour autant vouloir changer le cours de sa vie, ni chercher à « devenir soi ». Par exemple, quand on roule sur une route de nuit, on a intérêt à allumer les phares afin d’éviter les obstacles, mais pas nécessairement pour changer de destination ; de même, une entreprise a intérêt à évaluer tous les risques qu’elle peut encourir juste pour les éviter, sans pour autant vouloir changer d’activité. Un banquier a intérêt à connaître toutes les circonstances dans lesquelles son prêt pourrait ne pas être remboursé sans pour autant vouloir modifier sa politique de crédit. Une nation a intérêt à prévoir les risques qu’elle peut courir, sans pour autant nécessairement vouloir changer de modèle de développement ou de projet politique. L’humanité a intérêt à prévoir l’évolution du climat de la planète, pour essayer d’en contenir les conséquences désastreuses, sans pour autant vouloir changer plus largement son destin. Et plus particulièrement les peuples martyrs, et victimes de ségrégation spécifique sont sans cesse dans l’obligation de prévoir les menaces qui les guettent ; prévoir l’avenir est pour eux une condition de survie, qui ne leur impose pas nécessairement de changer de pays ou de confession.
Aujourd’hui, ceux qui ne peuvent ou ne veulent prévoir leur avenir se préparent des lendemains tragiques. Prosaïquement, ils ne préparent pas leur retraite ; ils vivent à crédit sans se préoccuper de savoir comment rembourser ; ils négligent les conséquences de leurs actes sur l’environnement et sur les autres ; même s’ils savent ce qui va en découler, ils préfèrent l’ignorer.
Seuls survivront longtemps ceux qui n’auront pas joué un jeu aussi suicidaire, et qui auront su prévoir et aider les autres à prendre conscience de l’urgence d’anticiper. Pour rester des êtres humains. Ou mieux encore : pour le devenir enfin.
C’est possible. Il ne faut jamais oublier que le propre de l’homme, ce qui lui a permis de dominer les autres espèces, c’est sa capacité de prévoir l’avenir. Et le propre des chefs, parmi les humains, c’est leur capacité supérieure à y parvenir, à le faire croire, ou à contrôler ceux qui le font ; prévoir doit devenir une obsession. La liberté est à ce prix.
Est-il possible de prévoir l’avenir ?
Pour certains c’est tout à fait impossible, autant y renoncer tout de suite.
D’abord parce qu’on ne sait même pas ce qu’est le temps : si chacun ressent bien qu’il s’écoule (dans nos corps, nos vies, nos sensations, nos souvenirs, nos espérances) ; si chacun comprend à peu près ce que sont le passé et le présent, chacun sait aussi que la mémoire est trompeuse, que le présent est souvent illusoire, que l’avenir est immédiatement du passé ; et qu’on ne peut même pas définir le temps.
Ensuite, parce que tant d’évènements peuvent influer sur l’avenir, personnel ou collectif, qu’il est absurde d’espérer déterminer le cours des choses : si on n’avait pas croisé telle personne par hasard, notre vie eut été totalement différente ; à l’inverse, si on n’avait pas pris du retard dans tel rendez-vous, on aurait pu rencontrer celui ou celle qui aurait pu changer notre destin. Si une entreprise n’avait pas eu tel dirigeant, elle aurait peut-être manqué telle technologie qui l’a sauvée.
De même, à l’échelle des peuples et de l’Histoire : si en juin 1914, à Sarajevo, l’archiduc François- Ferdinand avait échappé à l’attentat qui l’a tué, la première guerre mondiale n’aurait peut-être pas eu lieu. Si le 11 septembre 2011 le quatrième avion détourné n’avait pas été dévié de sa trajectoire par des passagers courageux et s’était écrasé sur la Maison-Blanche, le sort de la planète eût été différent.
.../... On peut donc comprendre qu’après un millier de pages d’analyses savantes sur ce sujet, le mathématicien Nassim Nicholas Taleb conclue péremptoirement : « Les prévisions sont tout bonnement impossibles. »
Pour d’autres, au contraire, même s’il était possible de prévoir, de prédire et même de connaître l’avenir, il faudrait surtout s’en empêcher : faut-il vraiment se savoir atteint d’une maladie incurable ? Faut-il songer à la mort ? Dans un couple, faut-il vraiment chercher à prévoir le comportement de l’autre ? N’est-ce pas se condamner à l’ennui ? Si on savait, avant un dîner chez des amis qui on allait y rencontrer et ce qui allait s’y dire, aurait-on encore envie de s’y rendre ? De même, si on avait pu prévoir que l’électricité allait causer la mort de plusieurs millions de personnes, l’aurait-on jamais utilisée ? Plus généralement, si l’avenir était totalement prévisible, aurait-on encore envie de vivre ? L’imprévisible n’est-il pas nécessaire à toute vie en société ? A tout plaisir ? A toute décision ?
.../...Les hommes, depuis toujours scrutent les astres, interrogent des voyantes, font parler les cartes et fouillent dans ce qu’ils pensent être des expressions du destin. Etonnement, ils s’entêtent à le faire sans douter de la validité de techniques dont nul n’a pourtant jamais apporté la moindre preuve rationnelle de leur efficacité. Comme si l’homme s’accrochait à tout et n’importe quoi pour tenter de comprendre ce qui l’attend, dans un monde où rien ne lui paraît prévisible, pas même, au début de l’humanité, le retour du soleil à l’aube, ni celui de la nuit, au crépuscule. Chacune de ces techniques dit malgré tout beaucoup de l’avenir : de l’observation des astres à l’analyse des rêves, des jeux de hasard à l’interprétation des signaux les plus faibles, tout peut être signifiant.


Comme le pouvoir appartient très largement à celui qui prévoit, ou qui réussit à faire croire qu’il est capable de le faire, ou encore à celui qui contrôle ceux qui prévoient – successivement hommes de Dieu, d’armes, politiciens et hommes d’argent -, cette histoire de la prédiction est aussi, d’une certaine façon, celle du pouvoir.
Ceux qui parlent de l’avenir se trouvent toujours dans une position dangereuse : ils sont en général pessimistes (car on a toujours tendance à noircir l’avenir que l’on ne connaîtra pas, comme pour punir les autres d’exister après vous). Et ceux qui prévoient sont souvent considérés comme responsables de ce qu’ils annoncent (en tout cas, comme l’ayant souhaité).
.../... Prévoir l’avenir a d’abord été l’apanage des dieux et de leurs représentants sur terre. Ceux que Victor Hugo appelle les « contemplateurs de ténèbres » tentent alors de percer les secrets de l’avenir, par des prières, des transes, l’observation de signes célestes ou corporels, des jeux de hasard, de la méditation, de la musique, de la danse. Ils sont chamans, prophètes, augure ; ils sont à la fois adorés et haïs, craints et vénérés.
Peu à peu, les hommes ont tenté de s’approprier ces pouvoirs et sont parvenus à prévoir au moyen de diverses techniques rationnelles quelques données du futur. Ils ont peu à peu mis au point des méthodes pour apprendre à prévoir : les jeux, la littérature, la musique, l’humour.
Et puis, très récemment, tout s’est détraqué : aucune des directions que l’Histoire était censée prendre n’a tenu ses promesses ; ni celle du capitalisme, ni celle du socialisme, ni celle de la démocratie. Le monde est devenu de moins en moins prédictible. La plupart des hommes, ivres de liberté et de caprices se contentent désormais de vivre l’instant présent sans plus chercher à rien attendre de l’avenir. Sans plus penser à l’éternité, ni même aux années qui leur restent à vivre. Faisant tout pour oublier qu’ils sont mortels, étourdis par d’absurdes distractions, d’illusoires convoitises.
Aujourd’hui, face à la complexité des interactions, les hommes confient de plus en plus la mission de prévoir à des machines. De façon de plus en plus précise. Dans tous les domaines : la finance, la santé, la sécurité, la consommation, la production. La prévision redevient ici prédiction.
Ce savoir sur l’avenir n’est pas également partagé, et il restera ce qu’il est depuis l’aube des temps : un instrument majeur de pouvoir au profit de quelques-uns. D’abord, comme toujours, ceux qui, mystérieusement sauront faire preuve d’intuition et de prescience. Puis, demain, des compagnies d’assurances et des gestionnaires de données sauront tout des risques encourus par chacun, et orienteront les comportements pour les minimiser. Chacun sera alors un collaborateur plus ou moins volontaire d’une dictature prédictive.
Pour ma part, je ne veux pas croire que la liberté des hommes sera ainsi perdue. Je ne veux pas croire que nous n’aurons plus jamais les moyens d’anticiper notre avenir et d’agir sur lui. Je ne crois pas non plus que les machines soient aujourd’hui, et seront même jamais, capables de remplacer la sophistication de la pensée humaine. Ni que la démocratie deviendra définitivement un leurre. Je ne veux pas croire enfin que l’espèce humaine acceptera de perdre ce qui fait l’essentiel de sa grandeur : sa capacité à se projeter dans l’avenir, pour le choisir. Je crois au contraire, que les potentialités de chacun de se prévoir sont, et seront, bientôt plus grandes que jamais. Et que devancer notre avenir deviendra une arme, l’arme ultime, de défense et de conquête de notre liberté.
.../... La paresse est le pire ennemi de l’anticipation. La prévision est le meilleur allié de la liberté ; le seul moyen, même, d’éviter que ne se réalise le scénario noir, pour chacune de nos vie comme pour l’humanité. Il faut donc oser prévoir et y consacrer le temps nécessaire ; on s’aperçoit vite que c’est moins difficile qu’on ne le pense. Et qu’on apprend infiniment sur soi et sur les autres en s’y livrant. On peut, on doit aussi convier à ce processus toutes les techniques disponibles, y compris les plus étranges, les plus anciennes. Certes, rien ne me fera jamais douter de l’absurdité de la chiromancie ou de l’astrologie, prises l’une et l’autre au pied de la lettre. Rien ne me fera non plus croire que l’observation de la chute d’une feuille ou du marc de café, ou encore de l’envol d’un oiseau, puisse aider à prévoir quoi que ce soit. En revanche, en particulier, les techniques les plus récentes de prévision, permettent de comprendre l’influence, certaine même si elle est très indirecte, des astres sur la météorologie et sur l’humeur des gens ; de l’influence de leur physique sur leur capacité à séduire et à convaincre ; de l’influence du hasard sur les destins.
Il est aussi vraisemblable qu’on ne sait pas encore tout sur la fonction d’analyse causale des signaux faibles par les rêves, ni sur la capacité d’intuition, d’analyse totale, de pressentiment, de précognition dont certains disposent, surtout parmi les artistes, les musiciens, les poètes. Et inversement, c’est en cherchant à prévoir que chacun peut faire surgir ses propres capacités créatrices artistiques
Il appartient donc à chacun de nous de développer ces dons. Ils conduisent tant à prédire l’avenir qu’à échapper à la pesanteur du présent pour rêver, oser, créer.
Imaginez un monde dans lequel chacun ferait cet exercice. Cette lucidité transformerait profondément l’avenir individuel et collectif. Nul ne pourrait plus procrastiner ni se conduire en aveugle. Nul ne pourrait se résigner à la dictature des machines ni se contenter de son propre égoïsme. Nul ne pourrait plus s’enfermer dans la résignation ni dans le tunnel d’une vie décidée par d’autres.
En attendant cette inaccessible lucidité universelle, ceux qui prendront la peine d’apprendre ces techniques verront assez vite de grands changements dans leur vie, dans leur force créatrice et dans leurs rapports aux autres. Encore leur faudra-t-il affronter le fait que toute prévision de l’avenir est un appel à l’action et que tout change une fois qu’on a écarté le voile de l’ignorance. Même la peur devient alors un moteur de l’action. Même le chagrin n’est plus un obstacle à la joie parce que prévoir conduit à penser au-delà de lui et au moment où, inévitablement, il s’estompera.
Pour les avoir moi-même beaucoup pratiquées, je peux témoigner de l’extraordinaire force créatrice et auto réalisatrice de ces techniques. Il suffit d’y croire sincèrement, pour que, d’une certaine façon, elles participent au surgissement mystérieux de l’avenir. Oui, le fait de croire à une prévision, aussi irréaliste soit-elle en apparence, peut participer à sa réalisation.
Chaque vie est comme une cathédrale. Il faut la rêver avant de la vivre, la rêver pour la vivre.
Même si on n’a pas le temps de l’achever de son vivant, on finit toujours par vivre dans son œuvre : prévoir donne vie.