Dans son roman, Une si longue lettre, Mariama Bâ met en scène Ramatoulaye, une héroïne qui fait face à l’emprise de la tradition, suite au quarantième jour de la mort de son mari Modou.
Tamsir parle, plein d’assurance ; il invoque (encore) mes années de mariage, puis conclut : « Après ta sortie (sous-entendu : du deuil), je t’épouse. Tu me conviens comme femme et puis, tu continueras à habiter ici, comme si Modou n’était pas mort. En général, c’est le petit frère qui hérite de l’épouse laissée par son aîné. Ici, c’est le contraire. Tu es ma chance. Je t’épouse. Je te préfère à l’autre, trop légère, trop jeune. J’avais déconseillé ce mariage à Modou. »
Quelle déclaration d’amour pleine de fatuité dans une maison que le deuil n’a pas encore quittée. Quelle assurance et quel aplomb tranquilles ! Je regarde Tamsir droit dans les yeux. Je regarde Mawdo. Je regarde l’imam. Je serre mon châle noir. J’égrène mon chapelet. Cette fois, je parlerai.
Ma voix connaît trente années de silence, trente années de brimades. Elle éclate, violente, tantôt sarcastique, tantôt méprisante.
-As- tu jamais eu de l’affection pour ton frère ? Tu veux déjà construire un foyer neuf sur un cadavre chaud. Alors que l’on prie pour Modou, tu penses à de futures noces.
« Ah ! oui : ton calcul, c’est de devancer tout prétendant possible, devancer Mawdo, l’ami fidèle qui a plus d’atouts que toi et qui, également, selon la coutume, peut hériter de la femme. Tu oublies que j’ai un cœur, une raison, que je ne suis pas un objet que l’on se passe de main en main. Tu ignores ce que se marier signifie pour moi : c’est un acte de foi et d’amour, un don total de soi à l’être que l’on a choisi et qui vous a choisi. (J’insistais sur le mot choisi.)
« Et tes femmes, Tamsir ? Ton revenu ne couvre ni leurs besoins ni ceux de tes dizaines d’enfants. Pour te suppléer dans tes devoirs financiers, l’une de tes épouses fait des travaux de teinture, l’autre vend des fruits, la troisième inlassablement tourne la manivelle de sa machine à coudre. Toi, tu te prélasses en seigneur vénéré, obéi au doigt et à l’œil. Je ne serai jamais le complément de ta collection.
Mariama Bâ, Une si longue lettre, 2001.
I. Communication/ 5 pts.
1. a. Sur la base des indices précis et soigneusement classés selon leur nature, désignez l’émetteur et le récepteur dans le premier paragraphe du texte. 1, 5 pt.
b. Quelle (s) relation (s) entretiennent les deux personnages ? 1 pt.
2. a. À l’aide de deux indices pertinents, déduisez le type de focalisation adopté par l’auteur dans l’extrait : « As-tu jamais eu de l’affection pour ton frère ? […] J’insistais sur le mot choisi » 1, 5 pt.
b. En quoi cette focalisation permet-elle de révéler l’état d’esprit du locuteur ? 1 pt.
II. Morphosyntaxe/ 5 pts.
1.a. Relevez les phrases interrogatives du texte. 1 pt.
b. Que traduit leur emploi dans le passage ? 1, 5 pt.
2.a. Dans l’énoncé : « Ma voix connaît trente ans de silence […] tantôt méprisante », identifiez le signe de ponctuation dominant. 1, 5 pt.
b. Dites pourquoi l’auteur l’a utilisé. 1 pt.
III. Sémantique/lexicologie/ 5 pts.
1.a. Que signifie l’expression : « le complément de ta collection » ? Est-elle utilisée au sens dénoté ou connoté ? 1, 5 pt.
b. Pourquoi l’auteur l’a-t-il employé dans le texte ? 1 pt.
2.a. À partir du deuxième paragraphe du texte, construisez le champ lexical de la révolte. 2 pts.
b. En quoi ce vocabulaire contribue-t-il à dévoiler la vision du monde de l’auteur ? 0, 5 pt.
IV. Stylistique et rhétorique/ 5 pts.
1.a. En vous servant de deux indices pertinents, déduisez le type auquel appartient ce texte. 1, 5 pt.
b. Donnez la fonction de ce type de texte. 1 pt.
2.a. À l’aide de deux indices pertinents, dégagez la tonalité dominante contenue dans le dernier paragraphe du texte. 1, 5 pt.
b. Dites en quoi le recours à cette tonalité permet de caractériser l’attitude du locuteur. 1 pt
