Julien Sorel, jeune homme pauvre, a séduit tour à tour Mme de Rênal et Mathilde de la Mole. Sur le point de devenir lieutenant de hussards, il est dénoncé par une lettre de Mme de Rênal. Fou de douleur, il tire sur son ancienne protectrice.
Voilà le dernier de mes jours qui commence, pensa Julien. Bientôt il se sentit enflammé par l’idée du devoir. Il avait dominé jusque-là son attendrissement, et gardé sa résolution de ne point parler ; mais quand le président des assises lui demanda s’il avait quelque chose à ajouter, il se leva. Il voyait devant lui 1es yeux de Mme Derville qui, aux lumières, lui semblèrent bien brillants. Pleurerait-elle, par hasard ? pensa-t-il.
« Messieurs les jurés,
L’horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de la mort, me fait prendre la parole. Messieurs, je n’ai point l’honneur d’appartenir à votre classe, vous voyez en moi un paysan qui s'est révolté contre la bassesse de sa fortune.
Je ne vous demande aucune grâce, continua Julien en affermissant sa voix. Je ne me fais point illusion, la mort m’attend : elle sera juste. J’ai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages. Mme de Rênal avait été pour moi comme une mère. Mon crime est atroce, et il fut prémédité. J’ai donc mérité la mort, messieurs les jurés Mais quand je serais moins punir en moi et décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation, et l’audace de se mêler à ce que l’orgueil des gens riches appelle la société.
Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d’autant plus de sévérité, que dans le fait Je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysans enrichis, mais uniquement des bourgeois indignés... »
Pendant vingt minutes, Julien parla sur ce ton; il dit tout ce qu’il avait sur le cœur ; l’avocat général, qui aspirait aux faveurs de l’aristocratie, bondissait sur son siège ; mais malgré le tour un peu abstrait que Julien avait donné à la discussion, toutes les femmes fondaient en larmes.
Stendhal, Le Rouge et le Noir, « Le Jugement », 1830.
QUESTIONS:
I) Communication : 5 pts
1.a. A partir d’indices textuels relevés dans les deux 1ers paragraphes, déterminez les voix émettrices du texte. 1 pt
b. Que traduit ce mélange de voix ? 1,5 pt
2. Soit l’énoncé : « Je n’ai point l’honneur d’appartenir à votre classe » :
a. Dégagez le présupposé et le sous-entendu qu’il contient. 1,5 pt
b. Que pense Julien Sorel de la cour qui le juge ? 1 pt
ll-) Morphosyntaxe : / 5pts
1.a Repérez les temps verbaux utilisés dans le 1er paragraphe et donnez leur valeur. 1,5 pt
b. Comment justifiez-vous leur alternance? 1,5pt
2a. Repérez la négation dans l’extrait « Voilà mon crime…bourgeois indignés » et analysez-la 1 pt
b. Quelle nuance de sens apporte cette négation par rapport à l’issue du procès ?1 pt
III- Sémantique : / 5 pts
1.a. Expliquez l’extrait « Mais quand je serais moins coupable…voudront punir » 1,5 pt
b. Que traduit son usage sur l’appréhension que Julien a de l’issue de son procès ? 1 pt
2. Construisez le champ lexical du désespoir et dites en quoi il traduit l’état d’esprit de Julien. (2,5 pts)
IV Rhétorique des textes : / 1,5 pt
1.a. Décrivez la stratégie argumentative déployée par Julien Sorel. 2 pts
b. A-t-il atteint son objectif? Justifiez votre réponse à raide d’indices textuels. 1 pt
2a. A l’aide d’indices textuels précis, dites quelle est la tonalité dominante du texte. 1 pt
b. En quoi cette tonalité est-elle en accord avec l’intention de communication du locuteur ? 1 pt