Sujet 1 : L’homme est-il prisonnier du temps ? Epreuve de philosophie au baccalauréat A et ABI 2018
Sujet l : L’homme est-il prisonnier du temps?
I. Compréhension du sujet
Ce libellé interrogatif convie le candidat à trois taches conceptuelles essentielles :
• Montrer (dans une première approche) en quoi consiste l’esclavage de l’homme vis-à-vis du temps;
• Démontrer (dans une deuxième approche) que cet esclavage est relatif parce que l’homme lutte contre la tyrannie du temps dont il essaie de maîtriser le cours et de domestiquer le flux;
• En déduire, en termes de solution finale, que si sur le plan matériel il subit l'usure du temps, l’homme triomphe dans une certaine mesure de lui en s’immortalisant spirituellement à travers ses œuvres et ses actes.
NB. Il est important que les candidats sachent faire usage des concepts clés ci-après :
- Temporalité/historicité/durée/instant;
- Temps subjectif ou psychologique : temps existentiel vécu par la conscience d’un sujet ;
- Temps objectif ou physique: temps absolu, scientifique, universel existant en soi, chronologie, flux perpétuel dont je ne peux que suivre et poursuivre le cours et par rapport auquel tout est daté.
Il. INTRODUCTION
Le temps est généralement défini tantôt comme un paramètre des situations, des événements, tantôt comme un facteur d’évolution. Le Vocabulaire et technique et critique de la philosophied’André Lalande l’identifie à «un changement continuel par lequel le présent devient le passé ». On parle alors du cours du temps. Ainsi défini, le temps apparaît comme le plus grand facteur limitant de la volonté et de la liberté humaine et le problème ici posé est celui de son impact négatif sur nos existences : si tout ce qui existe est soumis à la dure loi de l’usure et voué à la précarité, devons-nous pour autant conclure que notre aventure existentielle soit marquée du sceau d’un esclavage vis-à-vis du temps? Autrement dit, même s'il reste vrai que sa liberté et son désir d’éternité: (comme dira Ferdinand Alquié) butent contre l’écueil de la temporalité, est-il légitime de penser que l’homme est prisonnier du temps?
III. PLAN POSSIBLE
III.1 Thèse : La servitude de l’homme face au temps
Le temps est le cadre conceptuel dans lequel se déploie mon existence, et le monde matériel dont je fais partie ne peut être saisi que par et dans le temps. D’où cette affirmation de Kant selon laquelle le temps est une « forme a priori de la sensibilité ». Il en découle donc tout d’abord que l’homme, parce que soumis à la finitude, est prisonnier du temps et les raisons pour le confirmer sont légion :
Argument 1: L’irréversibilité du temps :
Il est impossible de remonter le cours du temps parce qu’il s’écoule dans une seule direction. On comprend dès lors la détresse affective du poète Lamartine qui, dans son poème Le Lac, implorait en vain l'indulgence du temps en ces termes : «Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours».
Argument 2 : L'extrême évanescence du temps :
Tout se passe comme si le temps était fait pour s’évanouir: il apparaît comme une succession d’instants dont aucun ne ressemble à l’autre. .
Héraclite affirmait en ce sens que «tout coule et rien ne demeure » et qu’« on ne peut pas se baigner deux fois dans le même fleuve ». Puisque chaque moment de notre existence s'évanouit dans le temps, celui-ci apparaît à la fois comme le destinataire et le tombeau de nos actes. La croissance, le vieillissement et plus tard le dépérissement et la mort sont l'œuvre destructrice du temps au regard de laquelle on a pu affirmer que «sous le firmament, tout n’est que changement, tout passe ». Dans cette perspective, on ne manquerait pas ici de relever la détresse de l’homme qui, à l’image de Marcel Proust, se lance désespérément « à la recherche du temps perdu » sans espoir de le retrouver.
Argument 3 : L’usure du temps :
Rien ne résiste totalement au temps : tout ce qui est substance, comme moi naît, grandit et meurt. Le temps est ainsi comparable à un éternel instrument qui use tout et que rien n’use.
Argument 4 :L’indifférence du temps :
Le temps manifeste son indifférence vis-à-vis de notre volonté et reste impassible à toute négociation: dans le temps, tous les humains « voyagent» à la même vitesse. Il n’est impossible d'anticiper sur mon rendez-vous galant de demain, mon salaire du mois ou de retarder naissance de mon bébé dont je n’ai pas encore fini d’apprêter la layette.
Au regard de ce qui précède, ma finitude, mon impuissance voire ma vulnérabilité face au temps est apparemment établie.
Transition : Toutefois, la souveraineté du temps vis-à-vis de mon existence et de mon activité est-elle absolue
III.2 Antithèse : L’homme mène une lutte acharnée contre le joug du temps
Même si mon existence apparaît engluée dans la volonté souveraine de la temporalité, il n’est pas évident que je sois pour elle une victime consentante.
Argument l : L’homme fait d’abord preuve d’une maîtrise de la temporalité qu‘il sait lire et décrire : non seulement il peut morceler et convertir le temps en ses multiples séquences, mais il-peut également établir un pont entre ses trois principaux moments que sont le passé, le présent et le futur. On sait bien qu’à côté du «temps perdu» qui ne revient pas, Marcel Proust s’enthousiasmait du « temps retrouvé», suggérant ainsi l’idée d'une domestication possible du flux temporel.
Argument 2: L'homme est même dans une certaine mesure maître du temps parce qu’il a pu le domestiquer et le partitionner en se le représentant dans l'espace, nomment à travers les cadrans des horloges. Il vient par ailleurs, par la magie de l’audio-visuel, revisiter nostalgiquement son passé, en tirer: les leçons qui s’imposent et se projeter sereinement, en termes de résolutions, vers un meilleur avenir. L’homme n’a-t-il pas aujourd'hui, grâce au pouvoir de la science et de la technologie, la possibilité de «voyager dans le temps »
Argument 3 : A la différence des autres animaux, l’homme est capable de vivre subjectivement le temps : il peut, à sa guise, décider de le contempler, de le « passer » (divertissement) ou de l'utiliser en le mettant à profit dans l’action. De norme absolue, le temps devient ainsi une donne relative vécue subjectivement par chaque conscience, ainsi que l'a montre le philosophe Henri Bergson.
Argument 4 :L’esprit humain et la grandeur d’âme de l’homme nous empêchent de l’assimiler à un accident de l’univers, un simple jouet du temps : en sortant de sa finitude naturelle pour déployer son existence beaucoup plus dans la sphère du culturel, l'homme conjure la précarité de son existence et s’oppose à la souveraineté du temps. Les grands hommes dont la pensée et/ou les actes ont positivement influencé le cours du temps, ont contribué par leurs œuvres à l’éternité de l'esprit humain. Leur entrée dans le panthéon de l’historicité fait d'eux des âmes immortelles ayant défié la temporalité au sens même où André Malraux a pu dire que « l'art est un anti-destin »
Transition : Si l’homme sort plus ou moins victorieux de sa lutte contre la temporalité, doit-on encore l’assimiler à un prisonnier du temps ?
III.3 Synthèse: L’homme transcende la prison du temps
Apparemment livré en pâture au flux temporel, l’homme lutte constamment contre la précarité de sa condition en secouant le joug du temps. Telle qu’elle se déploie dans la science, la culture et l’art, l’intelligence humaine nous donne la preuve que l'humanité refuse d'être logée dans la prison de la temporalité et de souscrire fatalement à la modicité de notre simple existence matérielle. Au lieu de le subir, l'homme maîtrise et transcende le temps. Il- est parvenu, aujourd'hui, à une gestion du temps qu’il est et même du temps qu’il fait.
S'agissant du temps qu’il fait, il en possède une parfaite connaissance au point de pouvoir le prévenir (météo) et de se prémunir contre ses dérives, qu’il désigne sous le vocable d’intempéries.
En ce qui concerne le temps qu’il est, il peut le gérer à sa guise en imposant à chacune de ses activités un timing et un chronogramme. Il procède ainsi à une véritable prévoyance, une planification, autant dire une budgétisation du temps. Il est donc dans une certaine mesure dompteur du temps
IV. CONCLUSION
Notre réflexion s'est évertuée à analyser et à évaluer l'influence du temps sur l’existence humaine. Sans nier le fait que la temporalité est un écueil à notre activité et à notre désir d'éternité, il serait tout de même excessif d’assimiler l’homme à un prisonnier dont le temps serait le geôlier. En réalité, pour sortir victorieux de la lutte permanente que nous devons mener contre la précarité de notre existence et le flux impitoyablement évanescent du temps, il faut le meubler, l’occuper utilement par comme le déclare si bien Vladimir Jankélévitch, «Le temps est le plus lourd récipient quand on le vide et le plus léger quand on le remplit». Le temps n’est donc pas totalement un adversaire pour l’homme; il est même à égards son partenaire et c’est bien pour cela qu’humanité, temporalité et historicité sont indissociables.
Sujet 2 : Quelles réflexions vous suggère cette affirmation de Spinoza : « Les hommes se trompent en ce qu’ils se croient libres » ? Epreuve de philosophie au baccalauréat A et ABI 2018
Sujet 2 : Quelles réflexions vous suggère cette affirmation de Spinoza : « Les hommes se trompent en ce qu’ils se croient libres » ?
I. compréhension du sujet
Spinoza, philosophe hollandais a développe une conception de l'homme et du monde tributaire de la vision stoïcienne faisant de l'homme un simple rouage d'une nature soumise à un mécanisme et donc, à un ordre de la nécessité implacable. Ce qui a pour effet de remettre en cause la liberté humaine ou tout au moins de l’hypothéquer en l’assujettissant aux déterminations latentes qui font d’elle une simple illusion : croire qu’on est libre alors que dans la réalité on ne l'est pas. Cette conception de la liberté l'amène à l’entrevoir dans le prisme d’une connaissance rationnelle et parfaite qui situe l’homme dans les béatitudes. Njoh-Mouelle a, lui aussi, su mettre en évidence (quoique s’eût été pour la critiquer) à travers l'équation : liberté = béatitude = bonheur. Dont ceci nous conduit à croire que l’homme libre ne serait donc pas celui qui est capable d’agit selon sa volonté ou ses propres appétits, mais cet être conscient des déterminations que la nature fait peser sur lui, et capable de saisir l’ensemble des lois et mécanismes qui régissent le fonctionnement de la nature.
Par cette approche, Spinoza dépasse le dualisme entre l’homme et la nature. Il n’y a plus de contradiction entre être libre et être soumis aux lois de la nature. D’une certaine façon, être libre c'est intérioriser, s'approprier cette soumission. C’est donc ce qui poussera P. Ricœur, dans De l’interprétation, à dire qu’avec: Spinoza « on se découvre d’abord esclave, on comprend son esclavage, on se trouve libre de la nécessité comprise ».
Voilà, simplement dite, la conception spinoziste de la liberté. C’est elle qui fixe le cadre de compréhension de la présente citation dudit auteur soumise à l’appréciation des candidats.
Il importe que les candidats fassent bon usage des concepts-clés suivants :
Liberté : Situation dans laquelle l’homme agit suivant sa volonté.
Homme : Animal social, créature, réalité dynamique et agissante, soumise au flux des événements et donc capable d'inclinations.
II. INTRODUCTION
II.1 Problème : Le sujet invite à se prononcer sur L’existence ou la non existence d’une liberté propre à l’homme. Il pose ainsi le problème de l’effectivité de la liberté humaine.
II.2 Ce problème peut être décliné en problématiques ainsi qu’il' suit :
- L’homme est-il réellement libre ou alors ne baigne-t-il que dans l’illusion d‘être libre ?
- La considération de l’homme comme un être pris dans le jeu du monde ne fait-elle pas de lui un simple élément d’un système qui surpasserait aussi bien sa conscience que sa volonté et lui dénierait toute prétention à la liberté ?
- L’homme ne devrait-il pas concevoir la liberté comme un mirage, une impression, une simple vue de l’esprit, que les tribulations de l'existence l’obligent finalement à déconsidérer?
III. PLAN POSSIBLE
IlI.l Thèse : Explication/analyse de la pensée de Spinoza
En général, pense Spinoza, la liberté humaine n’est qu’une apparence et illusion.
Argument 1 : l’homme n’étant qu’une créature, est soumis à l'ordre naturel, lequel se confond avec l'ordre divin, selon la logique panthéiste du philosophe hollandais. Il est, un peu comme le pensaient les Stoïciens, embarqué dans les rouages d’un mécanisme qui l’embrigade et l’emprisonne.
En tant qu’il fait partie du règne animal, il est soumis aux lois qui régissent le fonctionnement de ce règne. Une lecture biologique de l’existence humaine nous montre en effet qu’il est soumis au pouvoir de l'encodage génétique et à des métabolismes divers : hormones, adrénaline, vieillissement cellulaire, etc.
Argument 2 : L’homme est pris dans le jeu des déterminations psychologiques involontaires. Il subit le fouet de ses inclinations ou appétits (désirs, passions, etc.). Il s’agit là du déterminisme psychologique dont, après Spinoza, la psychanalyse freudienne s'est faire le chantre en montrant qu’il est insidieusement manipulé par les pulsions dont il ne maîtrise ni les tenants ni les aboutissants.
Argument 3 : L’homme est aussi pris dans le jeu des forces structurelles diverses :
- Forces économiques à travers la dynamique conflictuelle des classes sociales (marxisme);
- Forces sociales à travers la division du travail et le jeu des interactions (Durkheim, Marx, comte) : Charles Blondel, dans Introduction à la psychologie collective, souligne le fait que « Les influences collectives s’insinuent partout dans notre vie psychique »
On pourrait donc être tenté, au regard de ce qui précède, de considérer l’homme-comme un simple jouet de la nature et de ses caprices.
Transition : Toutefois, adhérer sans réserve à cette pensée de Spinoza ne fait-elle pas de l'homme un être condamné à vivre une fatalité insurmontable?
III.2 Antithèse : Objections à la pensée de Spinoza
Cette conception négative de la liberté que véhicule Spinoza pose certainement quelques difficultés :
Argument 1 : Elle repose sur l’ignorance de la spécificité de la conscience comme volonté et d’autodétermination: libre arbitre (Descartes) ; l'autonomie de la volonté (Kant) valorisation de la subjectivité (Kierkegaard, Sartre qui dira même, dans L existentialisme est un humanisme, qu’« Il n’y a pas de déterminisme, l’homme est libre, il est liberté »), etc.
Argument 2 : Cette vision spinoziste semble considérer les servitudes de l’existence sous-estimant ainsi les efforts que l’homme déploie au quotidien pour sortir de la misère sa condition.
Argument 3 : En véhiculant le message d’un déterminisme naturel proche de la fatalité,
Spinoza semble refuser à l’homme toute possibilité de révolte, d’engagement, de détermination, alors que cette révolte constitue sans doute la leçon fondamentale de A. Camus, aussi bien dans L‘Homme révolté (« La conscience vient au jour par la révolte ») que dans Le Mythe de Sisyphe (« il n’y a pas de destin qui ne se surmonte par le mépris »).
La conception spinoziste de la liberté est donc finalement défaitiste.
Transition : Mais sans balayer du revers de la main cette conception spinoziste de lai-liberté, ne nous apparaît-il pas important, au-delà des critiques formulées à son encontre, de dégager les enseignements qui en découlent?
III.3. Synthèse, intérêt/valeur de la vision spinoziste de la liberté
On comprendra ainsi que, paradoxalement, Spinoza ne peut entrevoir la liberté en dehors de la nécessité. Mais, alors comment concilier nécessité et liberté si tant-est que, a priori, les deux semblent se rejeter?
Argument 1 : La critique de Spinoza semble ainsi proche de celles de Baçon, Laplace, Engels,
Marx, mais aussi de Freud. Conscients du caractère déterminé de nos inclinations, ils nous invitent à en prendre connaissance, à en mesurer l’impact réel ou possible sur notre agir quotidien afin de pouvoir les maitriser. Telle est leçon que donne Freud lorsqu’il affirme que «là où ça est, moi doit devenir ». Il en découle donc que c'est faire preuve de naïveté que de s’abandonner idéalement à l’illusion d’une liberté sans pression, ni opposition ou limites.
Argument 2 : Spinoza refusa de faire de la liberté un état. En montrant l’homme face eux déterminismes divers, il veut peut-être nous enseigner que la liberté humaine n’est pas une donnée, mais une conquête de tous les jours : si l’homme n’est pas libre, il importe qu'il se ibère, et qu’il se libère précisément de la nécessité inéluctable, et de ce point de la liberté est un processus et plus que telle un acte.
Argument 3 : Spinoza entend souligner la spécificité de la liberté humaine en tant qu'elle est toujours prise dans le jeu des forces de la vie, lesquelles forces nous sont souvent, sinon toujours ignorées.
Argument 4 : Il oblige à rechercher cette liberté totale et parfaite qui es inconcevable sans la parfaite connaissance et la maîtrise de la nature sans laquelle l’homme ne saurait prétendre au bonheur.
Argument 4 : Il dénonce l’attitude paresseuse de ceux qui ne conçoivent la liberté-que dans l’absence de toute pression, de toute opposition ou de toute contrainte, alors que la vie nous oppose tout cela et nous invite à y faire face : se dire libre pour n’avoir pas à combattre, voilà un renoncement et un découragement auquel Spinoza ne saurait souscrire.
1V. CONCLUSION
-Rappel du problème soulevé par la citation
- Rappel succinct de la thèse et de sa critique
- Solution personnelle au problème (et ouverture)
Sujet 3 : Commentaire philosophique Epreuve de philosophie au baccalauréat A et ABI 2018
Sujet 3 : Commentaire philosophique
l. COMPREHENSION DU TEXTE
Pour comprendre cet extrait de l’Essai et surtout bien le situer, il faut prendre en considération ce qui suit : l’acharnement de Towa contre toute forme de construction intellectuelle contraire aux exigences de la pensée critique qui définit l’essence même de la philosophie. Selon ce philosophe camerounais, l’activité philosophique est fondée sur l’exercice et le déploiement de la rationalité et s’oppose ainsi à toutes les autres formes d’activités de l’esprit, en l’occurrence la religion, dont le fondement dogmatique semble rejeter toute forme de remise en cause et toute possibilité de contestation.
INTRODUCTION
Thème ; Philosophie et religion
Le présent extrait de l’Essai de Marcien Towa donne à l’auteur l'occasion de mettre en exergue la différence entre la déontologie philosophique et le dogmatisme théologique. Fondant son discours sur le fait que ces deux ordres de savoir ont souvent été abordés dans l'ignorance de leurs spécificités essentielles, Towa s’emploie à mettre en exergue ce qui distingue l’une de l'autre, surtout dans leurs rapports à la vérité. Il s’agit d’un autre niveau où l’auteur situe la critique de tout ce qui ne relèverait, selon lui, que de divers pseudo-savoirs qu‘il désigne sous le nom d’« antiphilosophies ».
Problème : Ainsi en confrontant philosophie et religion, il s'agit pour lui de dégager la nature de leur rapport afin de mieux préciser le sens de la philosophie véritable et celui de la religion dans leurs intentionnalités respectives.
Thèse: Pour Towa, philosophie et religion s’opposent diamétralement, en ce sens que la philosophie est critique alors que la religion dogmatique.
Problématique : Cette opposition posée entre philosophie et religion, de laquelle ressort l’affirmation de l'attitude critique de la philosophie à l’égard des vérités religieuse, fondées sur la révélation et la croyance, se justifie-t-elle ? Si oui, n'apparaît-elle pas radicale ? L’esprit philosophique ne devrait-il pas se résoudre à reconnaître l’existence de données résistant à l’outrecuidance philosophique et suggérant par le fait même le recours à d'autres « tribunaux » que celui de la raison ? La rationalité doit-elle être perçue comme le pivot exclusif de toute vérité?
II. EXPLICATION ANALYTIQUE OU ANALYSE EXPLICATIVE
Le texte dégage une structure binaire ainsi qu’il suit :
Idée l : La spécificité de la religion comme reposant sur une base dogmatique :
- Le contenu est dorure: et posé comme surpassant la raison ;
- L’esprit, supposé limité et infirme, ne doit rechercher son salut que dans la révélation surnaturelle et mystérieuse de certaines vérités.
Idée 2 : La spécificité de la philosophie comme reposant sur un fonds critique (le questionnement opiniâtre ainsi qu’on le voit chez Socrate) :
- L’esprit ne conçoit par de vérité inaccessible, tan-dessus d'elle ;
- La philosophie repose sur le principe radical selon lequel la pensée ne doit rien présumer au-dessus d'elle (la raison est la seule instance normative, législatrice et légitimatrice), c’est-à-dire détentrice du droit exclusif de décréter le vrai et le faux ;
- Seules sont considérées, comme valides ou recevables, les vérités ayant bénéficié de l’onction des principes de la raison (universalité, non-contradiction, tiers exclu).
Transition : L’argumentaire de Towa, bien que faisant ressortir la différence entre la philosophie et la religion, peut-il totalement se soustraire à la critique ?
IV. REFUTATION
Quelques objections peuvent effectivement être formulées à l'encontre de la pensée de Towa :
Réfutation 1 ; Sa verve critique (outrecuidance et excès de zèle) contre la religion pourrait justifier les accusations d’hérésie et de blasphème souvent convoquées à l’encontre de la philosophie, tel qu’on le voir dans l’apologie de Platon où Socrate, dans le même esprit et pour la même cause, est aux prises avec ses adversaires intellectuels ;
Réfutation 2 : La mise en doute des absolus justifierait aussi les accusations d’impiété formulées à l’encontre de la philosophie : l’imagerie populaire reproche effectivement au philosophe de ne pas croire et de s’employer à désacraliser les fondamentaux culturels, métaphysiques et spirituels de la vie commune: dieu, traditions, ancêtres, etc. On comprend pourquoi, selon Hannah Arendt, « Penser est indifféremment dangereux pour toutes les croyances». Towa ferait ainsi montre d'un rationalisme pur et excessif qui exclurait les vérités métaphysique par exemple du cercle de la philosophie.
Réfutation 3: La frontière entre la philosophie et la religion ne semble d’ailleurs pas si étanche, comme l’ont souligné Bacon, Malebranche et bien d'autres. C'est bien ce que rappelle E. Durkheim, dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse, lorsqu’il dit que «Si la philosophie et les sciences sont nées de la religion, c’est que la religion elle-même a commencé par tenir lieu de science et de philosophie ».
Réfutation 4 : Le culte excessif que Towa voue à la raison s'apparente lui-même à une passion et une dogmatique; surtout lorsqu’on sait que des limites ont été reconnus au pouvoir de la raison par plus d'un philosophe :
- Kant pense par exemple; que la raison ne peut nous faire accéder aux vérités nouménales;
- Selon Rousseau, « La froide raison n’a jamais d’illustre ».
La philosophie devra bien se résoudre à l’idée qu’une multitude de chose dépasse son appréhension critique. Cf. Pascal qui, dans Pensées affirme ce qui suit : « Nous avons une impuissance de prouver, invincible à tout dogmatisme […] nous avons une idée de la vérité invincible à tout pyrrhonisme » et que « La dernière démarche de la raison est de reconnaitre qu’il y a une de choses qui la surpassent». Cela rappelle la raillerie de ceux qui reprochent aux philosophes de trop croire savoir au point de ne plus savoir croire (Fontenelle pensait que « Les vrais philosophes passent leur vie à ne; point croire ce qu’ils voient et à tacher de deviner ce qu’ils ne voient point »)
Réfutation. 5 : Lorsqu’on sait Towa adepte du matérialisme dialectique et historique de Marx, lequel manifeste une hostilité notoire à l’encontre de la religion, on pourrait estimer que sa critique acerbe vis-à-vis du dogmatisme théorique n’est qu’une manifestation de son anticléricalisme et de son athéisme.
Ces objections suffisent-elle à mettre en doute la richesse ce texte
V. REINTERPRETATION/VALEUR/INTERET DU TEXTE
Les critiques sus-formulées ne semblent pas altérer la richesse philosophique de ce texte à travers lequel Towa nous apprend, à l’image de Socrate :
• Que l’activité philosophique est indissociable du culte de la raison
• Que le savoir est, conformément au « je pense » cartésien, une construction intellectuelle personnelle ; ce qui revient à rejeter toute idée de maitre absolu, d’autorité, détenteur incontesté d’une vérité incontestable, fermée à toute critique. ainsi, selon P. Abélard, «Le doute amène l'examen et l'examen la vérité ». Alain ne disait-il pas que « penser c’est dire non » c’est-a-dire refuser d’accepter par procuration et chercher à trouver en soi-même la ressource ultime des vérités qu’on établit.
• Qu’en questionnant comme le faisait déjà Socrate, les vérités et les dogmes des traditions souvent mal comprises de la vie courante, la philosophie a une mission sociale qui est d’éclairer la société afin qu'elle sorte de l’ignorance, de l’obscurité et qu'elle éclaire notre quotidienneté.
• Qu'en ce qui concerne la religion, l'homme (africain notamment) doit sortir des méandres de la théologie de l’endoctrinement dans laquelle sa spiritualité a été enfermée selon un programme savamment défini par les potentats de l'impérialisme occidental (voir le discours de Léopold II définissant les contours de l'enseignement biblique aux Bantus). Il encourage ainsi à se construire dans le cadre d'une théologie rationnelle (Voir Saut Augustin, Descartes) qui définit l'absolu sur la base itinéraire intellectuel et intuitif régente par; la raison
• Que c'est au nom de la raison et jamais des autorités incertaines, d'une certaine majorité ou d'un quelconque tabou ou mystère que le philosophe mène son activité dans la recherche des solutions aux inquiétudes de l'homme. Il montre ainsi que la philosophie est débat, dialogue; réflexion et non génuflexion.
Pour tout dire, la philosophie ou plutôt le savoir en général, ne s'exprime que chez ceux qui consentent à rechercher par eux-mêmes, à « penser par soi », comme on l'a vu avec les
Lumières (traçant la ligne de démarcation entre la croyance et la raison). La philosophie n'est pas une procuration, mais une réflexion personnelle, l'itinéraire personnelle qui mène vers des «certitudes inébranlables » ou les « idées claires et distinctes» de Descartes.
Sur un plan plus général et externe, l’esprit philosophique se veut donc essentiellement critique, iconoclaste. Le philosophe n'est pas l'homme de l'émerveillement, mais celui qui doute de toutes les merveilles, comme .on le voit dans l'esprit toujours dubitatif de Socrate.
La philosophie est donc, comme le pense Towa lui-même, essentiellement sacrilège.
IV. CONCLUSION
Rappel du problème posé l’auteur.
Rappel de la thèse de l’auteur
Raisons de l’intérêt philosophique : souligner le caractère iconoclaste de la philosophie dans sa recherche des voies de construction d'un projet philosophique axé sur l’épanouissement des peuples, notamment de l’Afrique.