Bamako ! Comment peut-on aimer une telle ville ? Vous y arrivez, de jour ou de nuit, c'est pareil ; tout pareil par air, par terre ou sur l’eau. D'abord, cette étrange sensation qu’on éprouve d’être soudain entré en un coin particulier de la terre, car il y a toujours, pour accueillir l’étranger, cette odeur particulière, en quelque saison que ce soit, cette odeur tout à la fois d'herbe pourrie, de fumée et de boue. Une chaleur moite vous envahit tout à coup, vous oppresse.
Comment peut-on aimer une telle ville ? Qu’on l’ait observée du haut des collines qui l’entourent ; qu’on se soit plongé en son sein ; qu’on ait arpenté ses rues et, toujours, on n’aura connu que cette seule évidence : qu’on n’aime pas cette ville-là, qu’on ne l’aimera certainement jamais. C’est peut-être parce que Bamako est une ville sans visage, une ville qui, s’étant vainement débattue pour choisir une voie entre le passé, le présent et l’avenir, s’est, de guerre lasse, résignée : le passé, le présent et le futur y cohabitent. Et c’est cette étrangeté qui saisit le passant à la gorge, cette étrangeté et ses relents d'un autre monde. Nul besoin d’être perspicace : il suffit d’un œil un peu moins distrait.
Ailleurs, quand, signe des temps, les-buildings s’annoncèrent, on eût tôt fait de raser les bidonvilles, comme pour oublier leurs populations grouillantes, laissant suinter la misère par tous les pores, la misère et ses filles les vices ; ici, il n’y eut aucune lutte, pas même une escarmouche1. Comme fatigués de ne devoir se mirer que dans les yeux de leurs semblables, comme exténués de toujours regarder vers le ciel et de vivre dans une éternelle monotonie, à Bamako, de rares buildings sont venus, le sourire aux lèvres : ils n'ont pas effrayé les mansardes qui menaçaient de tomber en ruine, ils se sont installés avec des manières patemes2. Les taudis regardent les buildings à la dérobée et méfiants, ‘les buildings contemplent les taudis et se veulent rassurants.
Nul besoin de sociologue : il suffit d’un œil un peu moins distrait. Ce qui saisit l'étranger à la gorge, c’est peut-être cette étrange coexistence d’univers dont l'un aurait dû naître de la mort des autres.
Moussa KONAT E, Chronique d'une/camée de répression, roman, Éditions L’Harmattan, 1988.
I. COMMUNICATION / 5pts
1. a. Repérez les pronoms « on » et « vous » employés dans le texte et dites à qui ils renvoient. 2pts.
b. Comment justifiez-vous cet emploi ? 0,5pt
2. a. Identifiez le présupposé et le sous entendu contenus dans la phrase : << Comment peut-on aimer une telle ville ? »1,5pt
2.b. Quelle image de Bamako cette phrase projette-t-elle ? 1pt
II. MORPHOSYNTAXE /5pts
1. a. Repérez et analysez les points d'exclamation et d’interrogation dans le texte. 1,5pt
b. Quel état d’esprit du narrateur se dégage de cette ponctuation ? 1pt.
2. a. Identifiez et analysez les verbes conjugués dans le dernier paragraphe du texte. 1,5pt
b. Comment justifiez-vous leur association ? 1 pt
III SÉMANTIQUE / 5pts
1.a. De quelles connotations sont chargées les expressions ci-après: << étrange sensation », « odeur particulière », «herbe pourrie », « chaleur moite »?2pts.
b. Quel sentiment du narrateur révèlent-elles ? 0,5pt.
2. a. Construisez les deux champs lexicaux qui s'opposent dans le 3° paragraphe. 2pts.
b. Comment justifiez-vous leur emploi conjoint ? 0,5pt.
IV. RHÉTORIQUE / 5pts ,
1. a. Identifiez la figure de style contenue dans la phrase ci-après et décrivez le procédé par lequel elle a été obtenue:
« Les taudis regardent les buildings à la dérobée et méfiants, les buildings contemplent les taudis et se veulent rassurants.» 2pts.
b. Quelle intention de Fauteur se dégage de cet emploi ? 1pt.
2. a. A l’aide d‘indices précis, dites à quel type ce texte appartient. 1pt
b. Dégagez la visée de ce texte. 1pt
1 Escarmouche : altercation, discussion vive, dispute.
2. Paterne : d'une gentillesse affectée; protecteur.